[Télétravail] Être à côté à distance

Je suis dans une équipe qui travaille souvent à distance, et pourtant, j’ai la sensation d’avoir mes collègues à côté de moi. Cette petite tape sur l’épaule venant d’une personne qui passe dans les bureaux pour demander de l’aide ou discuter, vous voyez ? Eh bien, je l’ai même quand je suis seul à mon domicile, et je ne suis pas fou - enfin, pas complètement ;).

Pour poser un peu de contexte, nous sommes une vingtaine dans l’équipe, composés de multiples profils (tech, produit, terrain, design, …). La plupart sont situés en Île-de-France et les autres répartis dans différentes régions du pays. Il y a une seule règle autour du télétravail : on veut se retrouver tous ensemble physiquement les derniers jeudis du mois. Le reste du temps, chacun est libre de s’organiser comme bon lui semble - et c’est majoritairement à distance.

Ce qui m’a valu des questions de la famille, d’amis, d’autres collègues. « Pas trop dur d’être souvent en télétravail ? Tu te sens comment ? » Et même des affirmations « ah moi je pourrais pas ». Alors j’explique certains aspects que j’aime bien - flexibilité, auto-orga, temps libéré, etc. Des choses qu’on entend déjà bien assez avec les fervents défenseurs du télétravail sur LinkedIn.

J’explique qu’aussi, je me sens bien avec le télétravail dans cette équipe (j’insiste sur ce point) parce que j’ai l’impression d’avoir mes collègues à côté de moi. Tout le long de la journée, j’ai beaucoup d’échanges, du spontané, de l’informel, du lien. Du sérieux et des conneries. Je ne suis pas seul au final. Et là, je vois que je mets le doigt sur quelque chose. « Ah ouais, c’est pas mal », « Faut qu’on essaie ça chez nous ».

Je pense qu’un des ingrédients principal de notre télé-mayonnaise est notre utilisation de Discord.

Rester connecté vocalement

Je vulgarise pour ceux qui ne connaissent pas. Discord est une application qui permet à plusieurs personnes de discuter avec du texte et avec de l’audio/vidéo grâce à un système de canaux. Ce qui est particulièrement intéressant ici, ce sont les canaux vocaux.

Un canal vocal est toujours ouvert. On voit les personnes qui y sont connectées actuellement, et on peut les rejoindre (et partir) à tout moment. Par exemple, je vois que Alice et Bob sont sur le canal Kaamelott. Ça tombe bien, j’ai besoin de leurs avis. Je vais m’y connecter brièvement pour échanger avec eux sur ma problématique.

C’est différent des outils classiques comme Google Meet, Microsoft Teams ou Slack. Je n’ai pas besoin d’appeler une personne, ni de planifier une réunion sur un calendrier, ni de demander la disponibilité de quelqu’un. Je rejoins un espace de discussion et hop, je suis avec ces personnes. Je peux immédiatement parler et ils m’entendent. Ou l’inverse. J’étais seul et hop, quelqu’un me rejoint.

Un aperçu de notre serveur Discord.

Un aperçu de notre serveur Discord.

C’est très pratique. Et c’est devenu très puissant quand on a commencé à l’utiliser pleinement. Je m’explique. Au début, on l’utilisait pour quelques rituels et on s’envoyait des messages pour se dire « hey tu viens sur Discord 5 min stp ? ». Puis un jour, on a glissé sur un autre mode de fonctionnement.

Avec mes deux collègues devs mobile par exemple, on s’est mis à se connecter sur notre canal vocal « ici c’est le mobile » les matins et on y restait toute la journée*. Même lorsque l’on n’avait pas besoin de se parler ou de travailler ensemble.

Pourquoi ? Pour la spontanéité. À tout moment, je peux activer mon micro et parler avec mes collègues - ils sont déjà là, ils m’entendent et peuvent répondre.

C’est génial pour collaborer. On peut s’entraider, poser une question, réfléchir à voix haute et avoir d’autres avis, déclencher un pair programming à la volée. Ça laisse également plus de place pour de l’informel. On peut dériver d’un sujet, raconter soudainement une anecdote ou le film vu la veille.

Il n’y a pas de friction. On parle, tout simplement. C’est con mais terriblement efficace.

*Connecté toute la journée : bien entendu, on se déconnecte d’un canal si on a autre chose à faire, besoin de focus, ou tout simplement si on a envie de couper. Aucune obligation.

Encore plus accueillant

La semaine dernière, j’ai fais une expérimentation pour aller un cran plus loin. On était content avec ce système dans l’équipe, mais il y avait majoritairement des développeurs connectés sur les canaux. On avait également trop de canaux (20 !) et plutôt silotés - « devs back 1 », « devs back 2 », « mobile », « recette », etc. En discutant avec d’autres profils dans l’équipe, je sentais qu’il y avait un intérêt et qu’on pouvait les embarquer.

Jeudi matin, j’ai tout supprimé puis j’ai créé une poignée de canaux. Différemment.

  • Un groupe « Ouvert » avec 5 canaux. N’importe qui peut rejoindre n’importe quand. C’est ouvert. J’y vais pour travailler avec les personnes présentes, pour discuter, juste écouter en fond. Ou j’y vais seul pour que d’autres me rejoignent s’ils en ont envie à un moment.
  • Un groupe « Privé » avec 2 canaux. Ici, je suis plutôt focus, je préfère ne pas être dérangé, sauf sujet important.
  • Des univers et des lieux comme nom de canal. Quelque chose de générique pour ne pas se fermer sur un métier ou une action. « Kaamelott », « Pixar », « Montagne ».

L’idée que j’avais derrière la tête ce matin-là, qui me guidait, c’était de créer un environnement permettentant aux gens de se croiser plus naturellement. En se groupant, et en se mélangeant. De manière prévue, et imprévue.

J’avais envie qu’une personne soit davantage tentée de rejoindre un canal avec d’autres personnes. Le groupe ouvert va dans ce sens, et les noms des canaux ne sont pas excluants. La réduction du nombre de canaux aide aussi, c’est une contrainte dans le système pour faire croiser les gens. Si on loue un château avec 200 chambres, on se verra trop rarement voire jamais.

En une semaine, il s’est déjà passé des choses très intéressantes.

  • De nouvelles personnes de différents profils qui passent régulièrement sur les canaux.
  • On s’est retrouvé à plusieurs pour prendre le café un matin avant le daily, discuter un peu du projet et de sujets divers, puis on a eu notre moment improbable quand une personne nous a joué du piano.
  • Un verbatim : « Je pensais qu’il manquait un canal privé. Hier soir les deux étaient pris, une personne m’a rejoint car elle en voulait un aussi. C’était bien, on était chacun focus puis on a pu discuter. Ça ne serait pas arrivé, finalement peut-être qu’il n’en manque pas ».
  • Et un autre : « Bon, je viens de me relancer dans le visionnage de Kaamelott, je t’en tiens pour responsable ^^ ».

Être à côté… de la plaque

J’avais envie de raconter cette histoire parce qu’on peut facilement se planter sur la façon de travailler à distance et créer des douleurs. En ne changeant rien alors que le contexte, lui, a changé. En saturant les journées de réunions. En restant toujours seul et en ne croisant d’autres collègues qu’à travers des réunions avec d’ailleurs bien trop de monde. En voulant tout contrôler. Etc.

Le télétravail est encore assez jeune pour beaucoup d’entreprises et de personnes - c’était bien moins présent avant le covid. Je trouve intéressant de partager des expériences qui peuvent inspirer et aider d’autres équipes qui se cherchent encore dans leurs relations avec le télétravail. On n’est pas obligé d’en faire, et on n’est pas obligé de le subir non plus. On peut se l’approprier - le problème n’est parfois pas dû au fait de télétravailler mais au comment on en fait.

Chaque équipe et chaque personne a des besoins différents, il faut les prendre en compte et essayer des choses. Tentez et faites différemment, c’est l’opportunité de grandement améliorer le quotidien.